George McGovern, candidat démocrate isolationniste en 1972
George McGovern, candidat démocrate isolationniste en 1972

Après la politique intérieure avec The Public Interest, Irving Kristol décide de s’attaquer à la politique extérieure américaine avec une nouvelle revue qui sera dirigée par Owen Harries :The National InterestLes griefs des néoconservateurs contre la Nouvelle Gauche, de plus en plus influente à l’intérieur du Parti Démocrate, et envers la contre-culture, sont aussi importants dans le domaine international : La majorité des élites démocrates résument le bourbier vietnamien et les problèmes du monde aux désordres engendrés par l’interventionnisme américain même. Cette position, faite d’humilité et d’autocritique, consistant à dire que les Etats-Unis doivent se concentrer sur les problèmes internes de sa société plutôt que partir en croisade est en effet défendue par des leaders comme Michael Harrington ou le candidat du parti démocrate aux élections de 1972, George McGovern. Ce dernier, connu pour son opposition à la guerre du Viêt-Nam et dépeint comme un gauchiste radical par les médias, aura même pour slogan de campagne « Come home, America ». Cette tentative de repli des Etats-Unis sur leur passé isolationniste est présentée comme un danger par les néoconservateurs. Si l’Amérique commence à se dévaluer elle même et refuse de défendre avec fierté ses valeurs, qui sont universelles et supérieures aux valeurs communistes, alors le pire est à craindre, disent-ils.

leo strauss
Le philosophe Léo Strauss

Contrairement à ce que disent une bonne partie des analyses sur les néoconservateurs,Léo Strauss n’a nullement été un des pères du néoconservatisme, ni d’ailleurs d’une quelconque doctrine politique dans le paysage public américain.1 D’abord, d’autres personnalités comme le sénateur démocrate Henry Jackson, Albert Wohlstetter, que nous verrons plus loin, ou Irving Kristol ont eu une influence bien plus importante sur la formation de la deuxième génération de néoconservateurs (années soixante-dix). Ensuite, pour la plupart, ces derniers eux-mêmes ignorent aujourd’hui le philosophe ou ne se réclament guère de lui. Paul Wolfovitz, jeune élève de Strauss, théoricien de l’intervention en Irak de 2003 et principal leader du néoconservatisme actuel, ne se réclamera pas de lui. Les réflexions de Léo Strauss, axées sur la relecture des grandes oeuvres de l’Antiquité comme celle de Socrate, Platon, Aristote, ou classiques (Tocqueville, Nietzche…etc), fournissent plutôt les bases d’une interrogation spirituelle sur ce qu’est la modernité et sur ce qu’elle induit plutôt qu’elles ne définissent une ligne politique. Mais il est vrai que certains élèves de Léo Strauss comme Henry Jaffa de Claremont ou Allan Bloom ne suivront pas la prudence de leur maître et en tireront des conséquences politiques transmises aux générations suivantes. Le premier s’appuiera sur la référence au droit naturel des pères fondateurs des Etats-Unis (notamment Jefferson) pour lier nationalisme américain et héritage philosophique. Le second s’appuiera sur la critique du relativisme moral né selon lui des thèses d’Heidegger et Nietzche pour dénoncer la décadence de l’Université américaine.

Les thèses héritées de l’entourage de Strauss provoqueront un vif débat au sein de la société américaine sur la pertinence de la contre culture et sur le recours au patriotisme. Cependant, il convient d’admettre que le passé même du philosophe, exilé d’Allemagne ayant vu la République de Weimar subir les assauts du communisme et du nazisme, et les leçons que le néoconservatisme entendent en tirer ont une influence importante par rapport au débat isolationnisme/interventionnisme en politique étrangère. Notamment dans le discours de Donald Rumsfeld et des médias américains au cours de la seconde guerre irakienne : Le souvenir de la faiblesse des vieilles démocraties occidentales face à la montée du nazisme et du fascisme a été opportunément ravivé par les néoconservateurs pour prôner des méthodes musclées au service d’objectifs moraux : la faiblesse diplomatique britannique (qui a pratiqué l’équilibre entre l’Allemagne et la France jusqu’à la fin des années trente, par crainte d’une hégémonie française sur le continent européen) et la faiblesse militaire et stratégique française (tactique dépassée de vieille guerre d’usure axée sur la ligne Maginot alors que le Reich passera par la Belgique et agira très vite) sont des exemples à ne pas suivre.

Accords de Munich, 1938 - Daladier & Chamberlain négocient avec Hitler en présence de Mussolini
Accords de Munich, 1938 – Daladier & Chamberlain négocient avec Hitler en présence de Mussolini

Les néoconservateurs récusent à travers la stigmatisation de ces deux exemples toute politique d’équilibre hamiltonienne, et toute faiblesse de l’armée américaine. Les européens, défilant par millions dans les capitales du Vieux Continent se sont vus pointés du doigt pour leur « Munich Betrayal », en référence aux accords de Munich, où Chamberlain et Daladier permirent à Hitler d’annexer les Sudètes en 1938 en croyant qu’il n’envahirait pas la Pologne : Pour les néoconservateurs, les démocraties libérales, si elles veulent s’imposer, ne doivent pas faire preuve d’autant de naïveté.

1. Francis Fukuyama, D’où viennent les néoconservateurs ?, Grasset, Oct. 2006 – p.21-22

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