Si Janet Yellen, Mario Draghi et leurs homologues ont gagné sept ans. Pourquoi pas vingt ans de plus ?

Janet Yellen, à la tête du système de monnaie-dette aux Etats-Unis
Janet Yellen, à la tête du système de monnaie-dette aux États-Unis (FED)

Vous avez certainement entendu parler de la “crise”, souvent mentionnée comme “la crise de 2008”, c’est à dire un événement temporaire, certes grave, mais conjoncturel (cyclique) et surmonté grâce à l’action des banques centrales. Quelques articles de presse consentent à vous faire le service minimum en mentionnant des “risques de nouveau choc”, voire d’une “nouvelle crise”, mais disent, plus ou moins explicitement, que c’est du passé. Ce sont des cycles, on vous le répète. Ce qui n’est pas un événement cyclique par contre, ce sont les taux d’intérêt négatifs.

Il fallait sans cesse baisser les taux pour relancer l'économie. Aujourd'hui, il faut des taux négatifs.

Devoir payer pour prêter de l’argent à sa banque en le déposant sur ce que l’on croit être “son” compte, on ressent intuitivement que c’est une situation anormale et extraordinaire. Si il y a des cycles de bulles et de crises bien identifiés depuis 1860 (merci Kondratiev et Schumpeter), c’est la première fois dans l’Histoire que 25% de l’économie de la planète est assujettie à des taux négatifs, principalement au Japon et en Europe (pour commencer). De quoi parle-t-on ?

MONNAIE-DETTE. Vous devez le savoir, nous vivons dans un système exponentiel où la monnaie est faite à 97% de crédit, c’est à dire de dette…avec intérêts. Chaque fois qu’une bulle de monnaie-dette implose, les banques centrales abaissent les taux d’intérêt pour en recréer une plus importante, et les relèvent une fois la nouvelle bulle sur sa lancée auto-réalisatrice, pour éviter que l’épargne soit rongée par la hausse de l’Indice des Prix à la Consommation (IPC, souvent appelée “inflation” par erreur).

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Principal indice du “marché” actions aux USA. Exponentielle re-prolongée à chaque fois en baissant les taux et depuis 2008 avec la “planche à billets” et des taux zéro puis négatifs

CRISE. Depuis 2006, la production de biens et de services (basée sur la croissance des matières premières disponibles et la croissance de l’énergie disponible pour les transformer) ne croît plus assez vite pour que les remboursements soient à la fois tous et en totalité honorés. Dit autrement, l’énergie et les matières premières à la base de toute économie n’ont évidemment pas disparu en 2006, mais le flux croissant nécessaire à notre système d’argent-dette est devenu insuffisant. La borne symbolique de notre exponentielle de monnaie-dette est le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, mais le processus a commencé des années auparavant.

croissance intérêts

DELEVERAGING. Lorsqu’un maximum de dette est atteint par rapport aux revenus réels nets anticipés, un agent économique cesse de s’endetter, tente d’épargner un maximum et vend même des actifs. C’est un effet plus ou moins ressenti chez les ménages (pauvres ou non), mais extrêmement puissant parmi les sociétés financières dont les actifs avaient profité de l’effet de levier pendant la bulle : lorsque celle-ci s’arrête, les actifs perdent de la valeur en cascade et il faut les vendre…avant les autres.  A l’échelle macroéconomique, ce processus connu de deleveraging détruit de la monnaie-dette et donc l’argent, dans une zone/un pays donné(e). Les banques centrales luttent contre cet “hiver” financier depuis 2006.

Masse monetaire USA berruyerMasse monetaire Eurozone berruyer

QUANTITATIVE EASING. A l’automne 2008, les quatre principales banques centrales (FED, BCE, BoE, BoJ) ont même du “sauver” le système bancaire et financier en :

  • rachetant ses dettes irremboursables (principalement issues de la bulle immobilière et des produits dérivés)
  • baissant les taux au minimum (ZIRP pour Zero Interest Rate Policy)

En mars 2009, lorsque les “marchés” actions ont touché un point bas historique, il a fallu “mettre le paquet” en créant un maximum de monnaie, pour que les banques prêtent au secteur privé et aux États, afin que le système de monnaie-dette reparte.

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QE theory COLLECTOR

RÉSULTAT. Et logiquement…ça fonctionne de moins en moins. La monnaie créée abondamment depuis mars 2009 ne circule pas : elle sert aux banques à augmenter leurs réserves, assainir leur bilan et investir sur des simulacres de marché où les prix sont planifiés par les banques centrales (marchés actions, c’est à dire ce que l’on appelle la bourse ; et marchés obligataires), sans rapport avec l’économie. Le Quantitative Easing a permis de gagner du temps, avec brio, mais a surtout gonflé artificiellement le prix des actifs financiers (obligations et actions), en total découplage avec la production de biens et de services. Les taux d’intérêt étaient à zéro, et zéro était encore trop, ce qui est inédit et grave.

De plus en plus de dette, des taux de plus en plus bas et désormais négatifs...pour quel résultat ?
De plus en plus de dette, des taux de plus en plus bas et désormais négatifs…pour acheter du temps

POURQUOI PAS 20 ANS DE PLUS ?
Les banques centrales doivent absolument réussir là où celle du Japon (BoJ) peine depuis une vingtaine d’années : il faut de plus en plus de création monétaire supplémentaire (et donc de dette) pour contrer la baisse de l’activité économique réelle (déflation).

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Près d’un quart de l’économie mondiale est désormais soumise à des taux négatifs (The Financial Times ; Thomson Reuters Datastream)

Nous franchissons cet été un palier où les taux sont désormais négatifs pour prolonger l’exponentielle d’argent-dette, ce qui signifie que les déposants (épargnants) vont développer des stratégies de fuite pour ne pas en perdre, en le plaçant dans :

  • l’argent liquide, qui a l’avantage compétitif de rapporter 0% en nominal
  • les autres monnaies électroniques mais libres et décentralisées (non basées sur la dette exponentielle)
  • les métaux précieux
  • les autres systèmes d’argent-dette jugés moins mal en point et moins connectés (devises étrangères) ou les obligations d’entreprises à la fois solides et prometteuses

Les banques centrales et leurs auxiliaires politiques devront faire preuve de coercition envers les individus et groupes souhaitant conserver la valeur de leur argent sans pour autant le “placer” sur un simulacre de marché réglementé. Le désarmement technique et de la nécessaire radicalisation des banques centrales augmentera l’économie souterraine, les dé-collectes parmi les placements “perdants” et très risqués et, à terme, une perte de confiance menant à des ruées bancaires, une fois atteint un seuil critique de dépôts bancaires à débloquer.

[Article raccourci et mis à jour le 24 août 2016]

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